Dans exactement 42 semaines, s’ouvriront les Jeux de Paris 2024 et l’entrée en lice des équipes de France championnes olympiques en titre. Avec les 50 nuances de Jeux, nous désirons vous faire revivre, chaque semaine, les épopées de l’équipe de France au travers de huit olympiades, de Barcelone 92 avec la première médaille décrochée par les Bronzés de Daniel Costantini, jusqu’à Tokyo où les deux collectifs se sont parés d’or. Des histoires singulières, des anecdotes, des portraits, des coups d’arrêts aussi où pendant trois éditions (1996, 2000 et 2004), le handball français rongeait son frein pour mieux briller à Pékin et à Tokyo, en passant par Londres et Rio. Onzième épisode avec « Médailles d’or, tubes de plastiques ».

TOKYO 2021 – HOMMES

Médailles d’or, tubes de plastiques

C’est encore le temps de l’insouciance, d’une semi-liberté certes fragile mais dont chacun a fini par s’accommoder. Ces treize heures de vol pour rallier Tokyo depuis Paris-Charles de Gaulle célèbrent, oui, une certaine forme de légèreté, de laisser-aller, elles augurent des Jeux différents, des Jeux pour raviver une flamme encore vacillante. Les treize dernières heures, en fait, d’une vie à peu près normale.

Lorsque les Bleus atterrissent à l’aéroport international de Narita ce 12 juillet 2021, ils n’imaginent pas une seconde ni les vicissitudes, ni l’état de dépendance auquel ils vont être soumis. Le pied à peine posé au pays du soleil levant, ils sont plongés dans une sorte d’obscurité, comme soumis à une administration qui vient de décréter l’état d’urgence sanitaire. « Nous avions vécu un ou deux confinements, se souvient le sélectionneur Guillaume Gille, et nous étions tous prêts à énormément de sacrifices pour sécuriser cette aventure. Mais dès notre descente d’avion, nous avons découvert un protocole qui dépassait l’entendement. »

L’atmosphère à Chiba est pesante, surréaliste. A chaque contrôle, il faut être en mesure de présenter « Ocha », une application imposée par les autorités japonaises pour tout savoir de l’identité, des antécédents médicaux de chaque participant. En amont, ces mêmes autorités ont validé « l’activity plan » qui recense les lieux d’hébergement, les allées et venues. « On avait l’impression d’un énorme tourbillon, décrit Guillaume Gille, une succession de vérifications dans des stands érigés tous les cinq mètres. Remplir un formulaire jaune, cracher dans un tube, valider l’accréditation, montrer « Ocha », encore et encore. Le tout a duré peut-être trois ou quatre heures. »

80% des citoyens japonais sont réfractaires à la tenue de ces JO décalés d’une année. Mais le barnum olympique est bien échafaudé, contre vents et marées, épié, terriblement surveillé. « Dès notre premier repas pris en commun avec les filles à Koshu, rigole aujourd’hui Guillaume Gille, nous avons halluciné. Il faut imaginer une salle immense, comme une salle d’examen, avec des tables parfaitement alignées, séparées par des rectangles de plexiglass qui interdisent tout échange, condamnent ce moment traditionnellement propice à la convivialité. Et puis, passé ce moment de stupeur, nous avons convenu tous ensemble que ces contraintes faisaient partie du chemin. »

Chemin victorieux, mais chemin de contraintes permanentes. « Chaque jour, soupire Guillaume Gille, il fallait cracher toute la salive que tu parvenais à produire dans ta bouche dans ce petit tube transparent. S’ensuivait une attente fébrile. C’était la responsabilité de Pierre Sébastien et Jean-Christophe Mabire de transmettre les tubes. Tout ça était très paradoxal parce que nous vivions masqués, cachés la plupart du temps alors que l’on se touchait, on se crachait sans doute même dessus lors des séances d’entraînement. Aujourd’hui, plus personne n’accepterait de telles exigences. »

Elles illustrent ces « Jeux de la pandémie », des Jeux à huis clos. 430 cas de Covid-19 ont été recensés parmi les 52 000 personnes accréditées. Les Bleues et les Bleus n’oublieront jamais ce chemin tortueux. Ni bien sûr la fabuleuse récompense couleur dorée.