Trois ans après une première expérience à la tête du Minaur Baia Mare, le Champion du monde 2001 est revenu en Roumanie, au Steaua Bucarest, où il vit un début de saison contrasté. Lanterne rouge de la Liga Zimbrilor, il pourrait d’ailleurs ne pas poursuivre l’aventure avec le club de l’armée, sacré à vingt-huit reprises entre 1963 et 2008, mais sans véritable fil conducteur aujourd’hui. Samedi dernier, il a suivi le France – Roumanie organisé à Toulouse, sa ville d’adoption, depuis chez lui. La différence de niveau ne l’étonne pas vraiment…

Que faut-il retenir de la lourde défaite de la Roumanie face à la France (21-40), samedi à Toulouse ?

Le handball roumain est en souffrance dans ses structures, celles notamment qui touchent à la formation. Il y des joueurs de qualité, des athlètes et des potentiels intéressants, des moyens, parfois, et même un réel soutien populaire, mais très peu de culture du jeu en fait, de bases, au sens premier du terme. Le Dinamo a bien sûr des résultats, mais il s’est construit avec des joueurs étrangers. Ce résultat contre la France correspond, je le crois, au réel niveau du handball roumain aujourd’hui.19 buts contre la France, 10 contre le Monténégro, c’est une réalité flagrante.

La qualification au prochain Euro, treize ans après la dernière confrontation au plus haut niveau, peut-elle générer un élan, une prise de conscience ?

Le handball féminin marche bien et génère même une vraie effervescence. Son homologue masculin est très loin de ce monde-là et ne doit sa présence à l’Euro qu’à l’augmentation du nombre de participants. Il faut sans doute reconsidérer toute l’organisation, insister, surtout, sur la formation. D’anciens joueurs essaient d’ouvrir des académies, mais il n’existe pas de pyramide comme en France. Et puis il faut aussi une volonté commune. Je ne suis pas convaincu que tout le monde tire dans le même sens. 

Le niveau de jeu a-t-il néanmoins évolué entre ta période à Baia Mare et ton arrivée au Steaua ?

Pas vraiment. Călin Mihai Căbuț, le petit demi-centre de Constanta évoluait déjà à ce niveau quand il était à Bacău. Comme lui, il y a de jeunes joueurs capables de progresser à condition de beaucoup et bien travailler. J’en ai un ou deux au Steaua. Après, ceux qui ont déjà 23-24 ans hésitent à sortir de leur zone de confort. Ils gagnent bien leur vie ici et ne semblent pas tentés par une aventure à l’étranger. D’une manière générale, il y a quand même des manques, notamment au niveau des arrières.

Comment as-tu atterri en Roumanie ?

Après mon aventure nancéienne, j’avais fait savoir que j’étais partant pour une expérience à l’étranger. Je n’ai pas eu d’échos jusqu’à ce que Rareș Fortuneanu ne m’alerte sur le fait que Baia Mare pouvait être intéressé. J’ai mis mon agent dans la boucle.

Comment s’est passé cette première expérience ?

Nous étions troisièmes lorsque la pandémie a éclaté. J’avais prolongé mon contrat, mais lorsque je suis revenu après la crise sanitaire, le club m’a fait savoir qu’il n’avait plus d’argent, et qu’il cassait mon contrat. J’ai rebondi à Toulon mais l’expérience ne s’est pas prolongée. Je tournais un peu en rond chez moi jusqu’à ce que le Steaua me propose de prendre l’équipe. Le commandant, puisque le Steaua est l’équipe de l’armée, a constitué une équipe sans suffisamment d’équilibres et c’est très dur de performer dans ces conditions.

Cette dernière place est-elle difficile à vivre ?

C’est compliqué, oui. Je suis convaincu que cette équipe, malgré ses déséquilibres, a les moyens de lutter pour la 8e/9e place.

Est-ce un problème de moyens ?

Non, il y a des moyens, je travaille avec un adjoint, un entraîneur des gardiens, un préparateur physique, un kiné. Mais à côté de ça, c’est parfois folklorique. Nous avons joué un match important sans pouvoir s’entraîner la veille parce que nous avons mis dix heures pour rejoindre la ville. C’est tout le paradoxe, les contrastes de la Roumanie.

Qu’est-ce que t’attires dans la culture de ce pays ?

D’abord les gens sont accueillants, et c’est finalement assez simple de vivre ici. Il n’y a pas ce sentiment d’insécurité que l’on peut ressentir dans certains endroits en France. C’est assez difficile d’expliquer un feeling, mais je me sens bien ici.

Tes années toulousaines partagées avec Rudi Prisacaru avaient-elles éveillé cette curiosité ?

Non, pas du tout. Rudi évoquait la Roumanie d’avant 1995 et elle ne ressemblait pas à celle que je découvre aujourd’hui.

Croises-tu, parfois, les autres Français de Bucarest ?

Les filles, oui, parfois, notamment celles du CSM. Nous vivons dans le même groupe d’immeubles, un quartier que m’avait suggéré Siraba (Dembele_Pavlovic), et nous nous croisons à l’occasion, dans le coin, à l’entraînement. J’ai partagé un repas avec Laura Flippes récemment, j’ai aussi croisé Cédric (Sorhaindo) il n’y a pas si longtemps. Mais ce métier est accaparant, et ne te laisse pas suffisamment de libertés pour partager autant de moments que tu le souhaiterais.

Gardes-tu des contacts avec les joueurs de l’équipe de France que tu as côtoyés ?

Non, pas plus que ça. On est toujours content de se voir, bien sûr. Le fait que Léo ait signé au PSG, m’a permis de voir Daniel (Narcisse), Titi (Omeyer), Niko (Karabatic) à l’occasion. Mais les contacts sont limités. On a tous notre vie. Je partage plus de choses avec mes potes toulousains, Seb Lartigue, Tito Kempe…

Cette période internationale, et plus particulièrement ce match à Toulouse, n’éveille-t-elle pas un peu de nostalgie ?

Oui, un peu. J’ai de l’affection pour cette ville, Toulouse, pour ce club dans lequel je me suis construit. Et puis…

Et puis ?

Je me sens bien en Roumanie, mais il m’arrive de regretter de ne pas avoir de proposition de club français. Mon parcours est multiple. J’ai les mêmes diplômes que certains entraîneurs étrangers qui n’accomplissent pas toujours des miracles. Ce que je vais dire est peut-être prétentieux, mais je trouve que l’on commence à s’ennuyer un peu dans le handball moderne. Il n’y a pas, ou alors très peu de créativité. C’est assez perturbant d’ailleurs, parce que l’on retrouve aussi ça chez les joueurs. Il y a des gars très forts, sans aucun doute, mais ils jouent souvent de la même manière. Je ne vois plus cette petite étincelle que l’on trouvait dans les générations précédentes.

Comment juges-tu les débuts professionnels de ton fils Léo ?

Je suis très content qu’il ait signé son premier contrat professionnel. Il est un peu dans le dur en ce moment. Il ne joue pas. Il a plus joué lorsqu’il était au centre de formation parce qu’il pouvait doubler. Là il ne peut plus. Quand tu as vingt ans, que tu es gavé d’énergie, c’est un peu dur d’attendre ta chance.

On imagine que la disparition de Jean Weber t’a particulièrement affecté…

Il était plus qu’un entraîneur pour moi et pour toute notre génération. Il ne me considérait pas seulement comme un joueur, mais comme un homme à qui il a ouvert les yeux sur le monde. Il m’a poussé à devenir celui que je suis aujourd’hui, il m’a éveillé à la lecture, développé mon sens critique. C’était un homme à part, exceptionnel, comme on en croise malheureusement très peu dans une vie. C’était en quelque sorte mon mentor. Il m’appelait son « petit Mozart ». C’est un brin pompeux, mais tellement flatteur, tu te sens alors unique. Ce que je retiens de lui, c’est qu’il faisait tout avec une grande finesse et beaucoup de passion.