Dans exactement 37 semaines, s’ouvriront les Jeux de Paris 2024 et l’entrée en lice des équipes de France championnes olympiques en titre. Avec les 50 nuances de Jeux, nous désirons vous faire revivre, chaque semaine, les épopées de l’équipe de France au travers de huit olympiades, de Barcelone 92 avec la première médaille décrochée par les Bronzés de Daniel Costantini, jusqu’à Tokyo où les deux collectifs se sont parés d’or. Des histoires singulières, des anecdotes, des portraits, des coups d’arrêts aussi où pendant trois éditions (1996, 2000 et 2004), le handball français rongeait son frein pour mieux briller à Pékin et à Tokyo, en passant par Londres et Rio. Seizième épisode avec « Les deux quinzièmes hommes ».

PÉKIN 2008 – HOMMES

Les deux quinzièmes hommes

C’était l’épaule gauche du géant Davor Dominikovic. Un tir. La toute fin du geste. Une douleur. « J’ai très vite compris que c’était fini, rumine-t-il encore aujourd’hui. Nous sommes partis faire une radio avec Pierre Sébastien. Je suis revenu avec un plâtre. Enfin un plâtre… Un plâtre à la Chinoise. »

Jérôme Fernandez volait sur ce poste d’arrière droit. Il profitait du travail de Daniel Narcisse et de Nikola Karabatic, pesait sur chacun de ses duels, ouvrait des espaces à Luc Abalo. Contre le Brésil, il avait battu le record de son idole d’enfant, Frédéric Volle, du nombre de buts inscrits en équipe de France. Et puis il y a eu cette 27e minute à l’OSC Gymnasium, cette fracture du troisième métacarpien…

De retour à l’appartement, il veut trouver la force d’annoncer la nouvelle à ses coéquipiers avant de préparer ses affaires et déguerpir. Les organisateurs exigent en effet qu’il quitte le village. Il croise Philippe Bana, alors DTN. « Il m’a dit : tu restes avec nous. J’ai réussi à négocier. On est une équipe. On reste ensemble. »

Il se précipite dans la chambre qu’il partage avec Thierry Omeyer. Prépare ses affaires pour céder son lit à Cédric Paty, l’heureux remplaçant. « En fait, se souvient-il, Cécé n’aurait pas dû être avec nous au village, mais nous avions trouvé la parade en le faisant dormir sur un matelas, dans une sorte de balcon-véranda, dans la chambre de Luc et Mika je crois. La logique était que nous échangions nos places, mais Titi, parce que nous avions nos habitudes, a préféré que je reste avec lui. Cécé avait beaucoup de respect pour Titi et n’a pas mal pris la chose. »

Il faut dire que Cédric Paty était tout heureux de se retrouver dans cette aventure. « Je l’ai appris le 25 juillet, le jour de mon anniversaire, sourit-il. J’étais le 15e homme, mais je la vivais de l’intérieur, et j’ai toujours eu le sentiment de faire partie intégrante de l’équipe. Nous avons tous été choqués par la blessure de Jérôme. A tel point que je ne me suis même pas rendu compte que j’allais le remplacer. C’est Bertrand Gille, dans le bus du retour, qui m’a dit : ça y est, tu vas disputer les Jeux. Je lui ai répondu : Pourquoi ? Je n’étais absolument pas centré sur ça, mais juste déçu et triste pour Jérôme. »

Chacun sait le rôle de Jérôme Fernandez dans le groupe. Il est toujours positif, bienveillant, participe aux équilibres. « J’avais la conviction que nous pouvions aller au bout, dit-il, et j’étais heureux d’avoir ce privilège de partager ça avec les copains. » Mais ce rôle l’use et pèse chaque jour un peu plus. Il termine la compétition très marqué émotionnellement. « Aux Jeux, justifie-t-il, il y a beaucoup de stress, mais tu l’évacues en jouant. Je ne pouvais pas l’évacuer. Le paroxysme, c’est dans le bus avant le quart de finale contre la Russie. J’avais encore en tête le souvenir de 2004 et je ne pouvais retenir mes larmes en me disant : non, l’histoire ne peut pas se répéter. »

Elle ne se répète pas, non, elle s’écrit même en lettres d’or. Dans le vestiaire, avant la finale, Jérôme Fernandez est traversé de sentiments ambigus. « Je les encourageais, raconte-t-il, je balançais une vanne, et je sentais les larmes monter, alors je partais chialer aux toilettes et je revenais en cherchant à faire bonne figure. Mais ça revenait et je repartais encore. Et encore. »

Ces larmes, il ne les cache plus maintenant. Il s’apprête à célébrer le titre. Il ne croit pas à la scène à laquelle il vient d’assister. Les organisateurs avaient informé la délégation tricolore que seuls les quatorze finalistes pourraient grimper sur le podium. « Là, Olivier Girault a dit : soit on y va à quinze, soit on n’y va pas. La cérémonie a été retardée, on a longtemps parlementé. La situation devenait gênante pour les Chinois. Je crois que c’est Hassan Mustapha qui a fini par la décanter en trouvant une quinzième médaille et en m’autorisant l’accès. »

La simple évocation de ce moment l’émeut toujours aujourd’hui. « Ce premier titre olympique, je le leur dois, assure-t-il. Je me suis toujours senti redevable. J’ai été nommé capitaine après Olivier, et je me suis dit : tu dois être le meilleur possible dans ce rôle par rapport à ce que ce groupe t’a offert. »