La capitaine de l’équipe France championne du monde en décembre dernier a retrouvé ses coéquipières ce dimanche à la Maison du handball à Créteil afin de préparer la double confrontation avec la Slovénie, qualificative pour l’Euro 2024. Jeudi à Velenje puis le 3 mars à Orléans, elle compte, bien sûr, profiter de ces retrouvailles, mais surtout imaginer le chemin vers les Jeux olympiques. Estelle fait aussi partie de la short-list pour l’élection de la meilleure joueuse du monde 2023. Votez ici pour Estelle !

Comment se sont déroulées les retrouvailles avec les filles, deux mois après la finale de Herning ? Étais-tu impatiente ?

Complètement. On a vécu une aventure particulière que l’on a célébrée de manière intense mais furtive. On fête le titre le soir même, le lendemain avec les différentes opérations au programme, puis on rentre chez soi. 48 heures après une émotion aussi forte, aussi intense, on se retrouve éparpillées, juste avant les fêtes de Noël qui plus est, et c’est assez violent. Là, on peut échanger à tête reposée. On prend des nouvelles les unes des autres, on s’interroge sur la manière dont les jours se sont écoulés depuis. On aborde également des points de vue tactiques, on dresse le bilan de ce qui a fonctionné, ce qu’il faut perfectionner, et on identifie des pistes de travail, on fixe de nouveaux objectifs. Maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Quel chemin emprunte-t-on ?

Comment est-il ce nouveau maillot avec les trois étoiles ?

Il est cool, on l’a déjà vu, après le Mondial, et c’est une vraie fierté de pouvoir le porter.

Quelles sont les images de ce championnat du monde que tu gardes d’abord en mémoire ?

Les discussions, des échanges à l’intérieur du groupe. Je me souviens très bien du chemin que nous avons emprunté. L’entame a été un peu poussive et elle a généré un peu de doute autour de la mise en place de notre défense par exemple. On l’a évoqué entre nous, avec le staff aussi, puis on a essayé de rectifier le tir, d’anticiper, de bien sentir les moments où nous n’étions pas dans la bonne direction. On a, je trouve, hyper bien réussi à ajuster trajectoire. Après, forcément, je garde en mémoire ces émotions pendant les matches. La première, c’est le moment contre l’Angola où l’on se rend compte qu’un poteau peut faire basculer le destin. A l’inverse, il y a celle face à la Norvège qui te permet de te rendre compte que tu as franchi un cap. Et puis il y a l’ambiance des matches couperets. Nous l’avons vécue avec une nouvelle équipe. Une nouvelle génération. C’est une nouvelle histoire que nous avons su écrire ensemble. La pression inhérente au moment, mêlée à la détermination des uns et des autres, a généré des moments forts, dans le vestiaire, dans la construction de cette ambiance de travail, la manière de passer les étapes en étant focalisé sur les affinités, sur le jeu.

Le plaisir de remporter un titre avec l’équipe de France est-il identique avec le brassard de capitaine ?

Franchement, oui. La seule différence, c’est le moment où l’on soulève le trophée. Je me considère assez chanceuse, d’une manière générale, dans ma carrière. Du coup, avoir l’opportunité de vivre quelque chose de nouveau me touche profondément. Ma carrière aurait pu s’arrêter il y a quatre ans, et ça n’aurait pas été si grave tant j’ai déjà vécu des choses exceptionnelles. Mais vivre ce Mondial à la manœuvre sur de petites choses, ça rajoute un sentiment d’accomplissement à un endroit différent, et ça procure une joie différente.

Tu resteras à jamais la capitaine de la première équipe de France sacrée sans connaître la défaite…

Pas un instant je n’ai pensé à ça. Sincèrement. On retient le titre. Peu importe le chemin. C’est d’ailleurs ça qui est beau aussi. Ce chemin peut parfois être difficile, parfois moins escarpé. 

Ce brassard t’a-t-il changée ?

Je pense que j’étais déjà investie dans ce groupe avant d’en être la capitaine. Ça s’apparente à une forme de leadership lorsque tu es impliquée dans les réunions, la prise de parole, d’initiative… Je me sens à l’aise avec le staff depuis un moment déjà, je perçois la confiance de chacun de ses membres dans la perception que nous avons du projet. Porter ce brassard, a peut-être eu un impact sur la joueuse que je suis, pas sur la personne.

Quel impact ?

J’ai dû adapter pas mal de choses entre l’Euro en Slovénie et ce Mondial. Je me suis rendu compte que j’en ai peut-être trop fait en Slovénie. On avait besoin de se reconnecter dans le groupe, avec le staff aussi, et j’ai axé mon capitanat sur la cohésion, j’avais à cœur de bien prendre soin de tout le monde, je mettais une grande application à rédiger mes speeches d’avant-match par exemple. Sans m’en rendre compte, j’ai mis la joueuse de côté. Heureusement, j’ai très vite rectifié le tir. J’ai changé mes manières, et je suis très contente d’y être aussi bien, aussi vite parvenue. J’ai fait mon auto-critique et j’ai mieux géré mon capitanat en décembre. Mes intentions étaient bonnes, mais la manière dont j’ai essayé de les rediriger était sans doute mieux adaptée. Je sais que mon rôle sera à nouveau réadapté pour les Jeux. Forcément.

Souffres-tu encore d’un manque de confiance en toi, ou es-tu définitivement guérie ?

Définitivement, non, mais j’ai beaucoup évolué. Je suis partie de très loin. Je ne sais pas si ces processus qui prennent nécessairement du temps peuvent un jour être totalement guéris. Mais je suis contente du parcours.

Le regard des autres te gêne-t-il toujours un peu ?

Encore un petit peu, oui. Ça fait partie de ma personnalité. C’est d’ailleurs un peu paradoxal. Le regard des autres m’importe peu parce que je suis centrée sur le moment présent, très investie dans la vie du groupe, au point d’avoir du mal à contacter mes amis proches ou même ma famille. Mais il y a encore des petites choses qui, par rapport au regard des autres, me mettent mal à l’aise. C’est pourquoi mes discours d’avant-match ne sont pas filmés. Je préfère privilégier le côté fermé de la chose.

Ton jeu a évolué au fil du temps, il est moins « fourre-tout » comme il t’arrivait de le qualifier. En fait, tu rentres de plus en plus dans les cases, même si tu restes évidemment atypique…

J’ai beaucoup axé mon développement de joueuse sur la stabilité et ça m’aide à avoir plus de confiance en moi. Je connais mieux mes limites, les choses sur lesquelles je peux faire la différence ou pas. J’ai développé la connaissance de mon jeu et la stabilité dont j’avais besoin, en opposition à cette époque où je basais tout sur ma fougue ou mes qualités physiques. Je ne suis pas encore au bout de ça. Mais j’ai bien avancé. Je suis contente de m’être illustrée dans ce style basé sur la vitesse, le débordement, la montée de balle, mais je suis tout aussi heureuse d’avoir développé le jeu avec l’ailière ou le pivot, d’avoir su privilégier la passe décisive. Mes qualités demeurent, mais elles sont, oui, moins prégnantes dans mon jeu, et ça me motive d’ailleurs à persévérer dans cette voie. J’ai procédé à une grande introspection sur ce qui me motive vraiment, et ce qui me motive vraiment, c’est de continuer à progresser. A la base, je ne suis pas une grande fan de sport. Mais ce qui m’intéresse, m’anime et m’épanouit, c’est de progresser. Le jour où je serai en capacité de jouer sur mes seuls acquis sera l’un des derniers parce qu’il ne me permettra pas de m’épanouir. J’essaierai toujours de grappiller une compétence supplémentaire.

Tu as dit un jour que tu t’étais fait la promesse d’être libre sur un terrain. C’est quoi être libre ?

Je me le suis dit pas mal de fois, mais c’est une promesse pas si facile à tenir. Il y a tellement d’enjeux dans ce monde, des enjeux dont découle une pression naturelle pas facile à gérer. Être libre, c’est justement être libéré de l’enjeu, libéré des mauvaises émotions sur le chemin de cet enjeu.

Tu dis souvent que tu es chanceuse de vivre dans cette équipe. Peux-tu approfondir un peu ?

Je ne suis pas la seule à l’être. Chance n’est pas le meilleur terme parce qu’il y a beaucoup de mérite pour parvenir à vivre des choses aussi extraordinaires. A Győr, par exemple, même si toutes les joueuses ont de grandes qualités, toutes n’ont pas le bonheur de vivre ce que l’on vit. Elles vivent bien sûr de belles choses pas ne connaissent pas ces mêmes émotions. C’est ça notre chance, celle d’avoir une génération incroyable.

Ce titre de championne du monde, la double victoire contre la Norvège, ne risquent-ils pas d’être lourds à porter aux Jeux olympiques ?

Franchement non. On a des expériences différentes dans cette équipe. Moi, j’appartiens à cette génération qui a beaucoup perdu contre la Norvège. Sarah (Bouktit), Léna (Grandveau), Hatadou (Sako) aborderont ces Jeux en ayant gagné deux fois et elles n’auront pas cette même pression qui a pu nous inhiber. Pour moi, c’était vraiment important de gagner contre elles. Ça commençait à sentir le désespoir cette histoire. Ces deux résultats décomplexifient le rapport de force. 

Une seule équipe, la Norvège justement, a été championne du monde puis championne olympique dans la foulée, en 2011 et 2012…

On peut poser des statistiques sur tout. La première capitaine invaincue, la première équipe à battre deux fois la Norvège en compétition… Mais ce que l’on veut vraiment, c’est gagner les Jeux. Tout le reste n’est qu’anecdote.

Être la capitaine de l’unique équipe de France qui aura le privilège de disputer les Jeux à domicile, est-ce un honneur ?

Bien sûr que c’est un honneur. Être en équipe de France est déjà un honneur. Être capitaine est un honneur. Disputer ces Jeux en France, c’est fou, vraiment. Mais je suis très centrée sur des choses plus primaires, c’est ma façon de me protéger pour rester focalisée. Je réfléchis plus volontiers aux manières d’ajouter de la plus-value à notre jeu, j’essaie d’imaginer ce que les adversaires vont essayer de faire pour tenter de nous contrer et à ce que sera alors notre riposte…

Qu’attends-tu de ces deux rencontres face à la Slovénie ?

Des victoires et une qualification, ça c’est pour le côté basique. Et puis, ce sont de nouvelles pistes de travail, une façon de relancer notre chemin vers les Jeux. Un nouveau point d’étape pour envisager d’autres perspectives.

Dix-huit matches sans défaite, c’est tout de même hallucinant…

Oui, mais ces choses-là ont toujours une fin. Le plus important, c’est d’atteindre nos objectifs. Parfois, ça passe par des matches pourris, mais s’ils te permettent d’identifier un problème que tu n’aurais pas envisagé parce que ta série était victorieuse, alors c’est que ce chemin-là était bon aussi.

Tu as prolongé ton contrat à Győr jusqu’en 2027, tu auras alors 36 ans. Comptes-tu y achever ta carrière ?

Franchement, je voulais jouer encore trois-quatre ans. Au fond de moi, je me dis que ce sera le dernier contrat, oui. Je ne sais pas ce que mon corps me dira ces prochaines années. J’aspire aussi à une autre vie. J’ai tellement changé depuis trois ans, peut-être que je vais changer encore et que j’aurai alors l’envie de continuer. C’est pourquoi je ne ferme pas la porte.

En quoi ce club est-il si différent des autres ?

Beaucoup de clubs arrivent au niveau structurel de Győr aujourd’hui. Győr, c’était exceptionnel il y a quelques années, mais je vois des structures qui évoluent, des projets frappés de cette même ambition. Mais Győr a une histoire qui fait que ce club attire de très bonnes joueuses. Le niveau se maintien, il y a une stabilité structurelle, économique, sportive, et le club inspire confiance. Surtout aux joueuses comme moi, plutôt sur fin de carrière, mais ambitieuses à la fois. J’ai encore envie de vivre de très beaux moments, et Győr est l’un des clubs qui te permet de les vivre.

Le mois de février a été compliqué pour Győr, mais vous allez à nouveau disputer les quarts de finale de la ligue des champions, comme chaque année depuis 2007. Ce titre manque à ton palmarès. Est-il l’un de tes objectifs ?

Oui. Vraiment. J’aimerais gagner cette Ligue des Champions. C’est la cinquième année que je la joue, la quatrième chance de l’emporter. J’ai envie de réussir à dompter cette compétition si particulière. Réussir à aller au bout. C’est le seul titre qui me manque.

Ta carrière d’entrepreneuse est-elle toujours entre parenthèses ?

Oui, elle l’est.

Tu avais peur que l’énergie dépensée finisse par te manquer dans ta carrière de handballeuse ?

Oui, et c’était un peu vrai, même si je ne voulais pas me l’avouer. J’étais convaincue qu’être stimulée en dehors du terrain était bénéfique sur le terrain. Je le suis toujours, mais pas à ce point d’engagement. Je suis très contente de m’être lancée dans cette aventure de « The V box », un engagement social pour les inégalités entrepreneuriales. Heureuse d’avoir pris cette décision-là, d’avoir mené ce projet dans lequel j’ai été la tête dedans pendant trois ans. C’était une sensation nouvelle, fort agréable, puisqu’elle permettait de développer des idées, d’imaginer de A à Z un concept différent. Je suis contente d’avoir vécu ça. Mais pour un athlète, c’est rare de pouvoir mener de front deux activités aussi prenantes, à moment charnière de la carrière qui plus est. J’ai toujours besoin de projets pour me stimuler, mais pas des projets qui puisent autant de temps et d’énergie. J’ai besoin de prendre soin de moi, les saisons s’intensifient de manière hallucinante. J’ai besoin de temps pour ma vie privée. Du temps pour vivre.

Tu as été parmi les premières à dénoncer le tabou sur les menstruations. Que t’inspirent les progrès à ce sujet ?

Je suis hyper contente. Je vois des choses qui sont enfin réalisées et qui tardaient à l’être. L’évolution des mentalités prend du temps. Je n’ai pas la prétention d’avoir lancé le mouvement, je m’en étais ouverte un peu par hasard, mais ça ne m’avait pas gênée de l’évoquer. Mais il y a bien sûr encore et toujours du travail. Des perspectives d’évolution.