Comme avant chaque match, Amandine Leynaud a préparé le grand rendez-vous des quarts face aux Championnes du Monde en titre en analysant les tireuses russes à la vidéo. Voici comment.


Pour renverser la très haute montagne russe, cet après-midi en quart de finale du Mondial, l?équipe de France aura besoin de toutes ses forces, à commencer par celles de ses deux gardiennes. Comme avant chaque match, Amandine Leynaud a préparé le grand rendez-vous en analysant les tireuses russes à la vidéo, depuis sa chambre d?hôtel. Voici comment.

Dartfish. Ce nom ne vous dit sans doute pas grand-chose, mais depuis le début de ce championnat du monde, il est le plus fidèle compagnon d?Amandine Leynaud et de Cléopâtre Darleux. Celui qui occupe leur temps libre. Celui qui les aide à appréhender les joutes à venir. Dartfish, c?est le nom du logiciel de séquençage d’images utilisé par l?équipe de France. Le joujou de Christophe Caillabet, le responsable vidéo du staff tricolore, qui passe son temps à décortiquer et classer chaque action de chaque match susceptible d?intéresser les Bleues. Une fois ce travail effectué, les deux gardiennes françaises ont accès, en quelques clics, à une base de données aussi gigantesque que précieuse. Amandine Leynaud peut alors, à sa guise, choisir de visionner, à la suite, tous les tirs de Ludmila Postnova de ces dernières années. Ou tous les buts de l?arrière gauche russe lors les six premiers matches du Mondial. Ou seulement ses tirs manqués lors du dernier France-Russie joué à Paris il y a deux semaines. Ou uniquement ses tirs à neuf mètres en suspension? Bref, Dartfish lui obéit à l?index droit et à l??il.

« Je travaille en passant chaque joueuse en revue, l?une après l?autre, explique la taulière française. Pour me rassurer et rester sur une note positive, j?aime bien regarder d?abord ses buts et ensuite ses tirs ratés. Mais j?analyse match par match, dans l?ordre chronologique, afin de détecter par exemple si une joueuse débute tous ses matches avec le même premier tir? Pour cette rencontre face à la Russie, je ne remonte pas plus loin que cet automne. Je travaille donc sur les matches que les Russes ont joués lors de la préparation et au Mondial. » Le cahier à côté de l?ordinateur, le crayon à papier à la main et le doigt posé sur la souris, Amandine visionne les tirs de la gauchère Ekaterina Davydenko lors du huitième de finale contre l?Islande : « Ce que j?aime bien avec ce logiciel, c?est que je peux arrêter l?image quand je veux, revenir en arrière au ralenti, repasser l?action à la vitesse que je souhaite? Là elle n?a pas encore lâché la balle, mais je me doute qu?elle va tirer en bas au deuxième poteau, car c?est son tir préféré. Par contre on vient de voir son premier tir, et celui-là m?a surprise, elle l?a mis en bas premier poteau. »

Une aide, pas une garantie
Si l?outil vidéo représente indéniablement une aide, il n?est en aucun cas une garantie de succès face aux canonnières adverses : « Ce n?est pas parce qu?une joueuse fait souvent la même chose qu?elle va le faire la prochaine fois. Ce n?est qu?une probabilité, et ça reste un jeu. J?arrive à repérer des constantes, mais à ce niveau-là, elles sont toutes capables de varier leurs impacts. Face à une joueuse un peu plus stéréotypée, il ne faut pas non plus que je parte à peine trop tôt pour faire mon arrêt, sinon elle va changer son tir au dernier moment. » Mais, c?est bien connu, dans les moments de fatigue une joueuse qui perd de sa lucidité a tendance à revenir sur ses tirs préférentiels. Amandine Leynaud effectue ce travail de fond depuis plusieurs années. Une expérience dont elle profite pleinement : « C?est parce que j?ai vu une situation des dizaines de fois que je vais agir en fonction, sur le terrain. Mais c?est quasiment inconscient. Je ne suis pas en train réfléchir constamment, à me dire attention, elle court dans tel sens, pose son pied d?appui et lève son bras de telle manière, donc elle va tirer là? Je ne me mine pas non plus le cerveau en me reprochant d?avoir pris tel ou tel but après l?avoir déjà vu à la vidéo, sans quoi je n?arriverais plus à jouer. »

Pour accomplir ce travail fastidieux, mais spécifique de la préparation d?un match, les gardiennes françaises doivent prendre sur leur temps libre, ou manquer des réunions avec le reste de l?équipe. « En général on rate la première des deux réunions de préparation, celle où Olivier parle surtout du comportement des joueuses adverses, ce qui est plus utile pour nos défenseuses que pour nous, confie Amandine. Par contre il est important d?assister à la dernière réunion d?avant-match, celle où on décide entre autre de la tactique défensive. Si on part sur une défense en 0-6, je vais plutôt m?attendre à des tirs de loin, alors que si on décide une défense en 2-4, je risque d?avoir affaire à des tirs à six mètres. Ca me permet de me préparer mentalement. »

« Doudou » a déjà travaillé sur les Russes il y a deux semaines, avant le France-Russie du Tournoi Razel Paris Ile-de-France (victoire des Bleues 30 à 26). Elle y avait passé une bonne heure et demie, la veille, tard le soir. Hier, avant ce quart de finale au sommet, elle avait prévu d?y repasser au moins autant de temps. Pour elle, l?équation posée par la Russie est plus compliquée que d?habitude : « En général je travaille en priorité sur le sept majeur, sur les joueuses qui marquent beaucoup ou qui sont performantes en ce moment. Mais chez les Russes les tirs sont tellement répartis qu?il y a presque deux sept majeurs? C?est surtout leurs pivots qui sont efficaces. Liudmila Bodnieva est très forte, très difficile à lire. Et l?ailière Emilia Turei est très atypique, dans ses suspensions et dans sa façon de tirer. » Gageons que les deux gardiennes françaises auront trouvé suffisamment d?indices pour semer le doute, tout à l?heure, dans l?esprit des Russes. La qualification pour les demi-finales du championnat du monde est aussi à ce prix.