Dans exactement 41 semaines, s’ouvriront les Jeux de Paris 2024 et l’entrée en lice des équipes de France championnes olympiques en titre. Avec les 50 nuances de Jeux, nous désirons vous faire revivre, chaque semaine, les épopées de l’équipe de France au travers de huit olympiades, de Barcelone 92 avec la première médaille décrochée par les Bronzés de Daniel Costantini, jusqu’à Tokyo où les deux collectifs se sont parés d’or. Des histoires singulières, des anecdotes, des portraits, des coups d’arrêts aussi où pendant trois éditions (1996, 2000 et 2004), le handball français rongeait son frein pour mieux briller à Pékin et à Tokyo, en passant par Londres et Rio. Douzième épisode avec « Pouce, je passe ».

BARCELONE 1992 – HOMMES

Pousse, je passe

Le rapport de force semble inégal. L’un est misérable et courageux. L’autre puissant et déterminé à triompher sur sa terre catalane. Ce qui donne, à la manière de Jean-Pierre Lepointe, alors adjoint de Daniel Costantini : « On était des blaireaux ». « Sauf, rappelle Philippe Gardent, élu meilleur pivot du tournoi, que depuis notre victoire en Hongrie, nous nous étions convaincus que nous pouvions battre l’Espagne. »

C’était même devenu une obsession. « Je me souviens de Laurent Munier, confirme Jean-Pierre Lepointe, lors de notre dernier stage à Banyuls, en train de jeter des barres d’haltérophilie en disant : regardez ce que l’on va leur faire aux Espagnols ! »

Daniel Costantini avait certes convaincu ses joueurs de se comporter « en guerriers », de « refuser l’écrasement physique »,mais il espérait seulement qu’ils préservent leur honneur et trouvait leur insouciance un brin culottée.

Une insouciance qui flirta même avec de l’inconscience la veille de ce match d’ouverture. Si l’Espagne comptait dans ses rangs des joueurs du calibre de Jaume Fort dans les buts, Iñaki Urdangarin, futur Duc de Palma de Majorque, Mateo Garralda ou Enric Masip, c’est bien Juan Francisco Alemany qui monopolisait l’attention. Le Valencian était un buteur invétéré, encore aujourd’hui le meilleur de la ligue espagnole. « Un soir, alors que nous rentrons du réfectoire avec Laurent Munier, raconte Philippe Gardent, nous croisons deux joueurs espagnols dont Alemany. Je continue mon chemin tout en parlant à Lolo, et je m’aperçois que je parle dans le vide. Alors je me retourne, et je le vois toiser Alemany, faire glisser son pouce sous sa gorge, en lui disant : « tomorrow ». C’était tendu, la situation tellement incongrue pour l’un comme pour l’autre. »

L’anecdote traverse les époques et subit quelques adaptations. Pour Jean-Pierre Lepointe, « il y avait Jackson, Eric Quintin et Munier, et les Espagnols étaient trois ». Pour Eric Quintin, justement, elle relève de la pure fable. « Ça ne s’est pas passé à Barcelone, mais l’année d’après au Mondial en Suède, assure-t-il. J’étais avec Lolo et nous avons croisé des Espagnols dans un hall, à la sortie du vestiaire, après les avoir battus au tour principal, et il a mis le doigt sur sa bouche comme pour montrer que nous les avions réduits au silence. »

Les deux histoires sont sans doute vraies. « Pour moi, rigole Laurent Munier, c’est bien à Barcelone, dans le village, et c’est sûr qu’Alemany a eu peur. Mais à force dentendre « Boule » le raconter, peut-être que… »

Ce qui est sûr, c’est qu’Alemany, ce 27 juillet à Granollers, a subi tous les chocs et a fini par capituler.  « Je le revois prendre un tir important, se souvient Jean-Pierre Lepointe, à la fin du match, dans le secteur de Lolo Munier. Il a eu peur que Lolo le tue, alors qu’il l’a à peine touché, mais le ballon est parti cinq mètres au-dessus de la cage. »Le courage du miséreux a eu raison de la puissance de l’hôte (18-16) et treize jours plus tard, l’équipe de France s’est invitée sur la troisième marche du podium.