Dans exactement 39 semaines, s’ouvriront les Jeux de Paris 2024 et l’entrée en lice des équipes de France championnes olympiques en titre. Avec les 50 nuances de Jeux, nous désirons vous faire revivre, chaque semaine, les épopées de l’équipe de France au travers de huit olympiades, de Barcelone 92 avec la première médaille décrochée par les Bronzés de Daniel Costantini, jusqu’à Tokyo où les deux collectifs se sont parés d’or. Des histoires singulières, des anecdotes, des portraits, des coups d’arrêts aussi où pendant trois éditions (1996, 2000 et 2004), le handball français rongeait son frein pour mieux briller à Pékin et à Tokyo, en passant par Londres et Rio. Quatorzième épisode avec « Luka et la main d’or ».

TOKYO 2021 – HOMMES

Luka et la main d’or

Ils ont ce match en mains, un ascendant, une emprise. A l’amorce de la seconde période, les Bleus comptent six buts d’avance, encore quatre à quatorze minutes d’une absolution dorée. Mikkel Hansen sonne alors la rébellion. Le Danemark recolle à un but et chaque ballon devient alors plus lourd, soudainement moite. La dernière minute est maintenant entamée. Toujours cette avance d’un but, le cuir dans les mains de Nikola Karabatic qui le laisse échapper. Mads Mensah hérite du présent. Nicolaj Jacobsen ordonne un temps-mort à trente et une secondes du terme et décide de manier l’audace. « Ils jouent à sept contre six alors qu’ils ne l’ont quasiment pas fait au long du tournoi ni dans cette finale », remarque Luka Karabatic. La base arrière est composée de Mikkel Hansen, Morten Olsen et Mathias Gidsel, le MVP de la compétition. Ces trois-là ont inscrit six des sept derniers buts. Henrik Toft Hansen et Magnus Saugstrup se placent à six mètres. L’enclenchement est connu de tous, les possibilités sont infinies. Les Français semblent pourtant parés. Les frères Karabatic et Ludovic Fabregas imposent leur stature. « Sauf, raconte Luka Karabatic, que Ludo décide de sortir un peu de sa zone pour perturber Gitsel. Je vois ça, et je m’adapte aussitôt, me cale par rapport à lui, je me rééquilibre et je change mon placement. Gitsel entrevoit un espace. J’essaie de le piéger. »

Gitsel alerte Saugstrup. Mais Luka Karabatic est sur la trajectoire après avoir contourné le robuste pivot. Sa main gauche effleure le ballon. Il rebondit vers le grand champ, là où se trouve Ludovic Fabregas. Le Catalan s’en saisit, esquisse quelques dribbles et décoche dans le but vide. 25-23. La France est championne olympique. « Le moment est particulier et la sensation plutôt étrange, se souvient le cadet des Karabatic, parce que l’on tenait cette finale et que l’on s’est mis en situation de pouvoir tout perdre. Là, je me suis dit : allez, il reste une défense à faire, un geste qui peut tout changer. »

Il change tout, oui. Dans n’importe quel autre contexte, il aurait été qualifié, au mieux, d’anodin. Il est essentiel. Il relève de l’expérience, de la capacité d’adaptation, de l’aléa sans doute un peu. « Disons qu’il rajoute à la tragédie, rigole Luka Karabatic. On retient moins un acte défensif qu’un joli but ou une belle passe, peut-être celui-ci permettra-t-il de changer un peu les mentalités. » Un peu… Sans doute accaparés par l’intensité dramatique, les statisticiens ont accordé l’interception à Ludovic Fabregas. Non. C’était la main de Luka Karabatic. Un doigt peut-être. Une phalange. C’est toute l’ambiguïté de ce rôle de l’ombre, pourtant essentiel pour entrevoir la lumière.