Vingt ans après le titre de championne du monde à Zagreb face à la Hongrie, Stéphanie Cano, la capitaine (242 sélections entre 1993 et 2008) revient sur une épopée qui s’est soldée par une finale mémorable au cours de laquelle les Bleues ont effacé un handicap de sept buts dans les sept dernières minutes.

« Te souviens-tu de ce que tu faisais le 4 décembre 2003 ?

Je ne suis pas très bonne en dates. Nous devions être en préparation, c’est ça ?

Non, vous jouiez contre l’Australie le troisième match de ce Mondial.

Un adversaire atypique qui évoque le voyage, une destination qui me fait rêver en tout cas.

Au-delà de la finale et de son scénario, que t’évoque ce Championnat du monde en Croatie ?

C’est le premier titre, une forme de consécration. Tu peux bomber le torse. Parfois tu peux être en forme individuellement et pourtant ton équipe n’est pas championne… Et inversement ! Mais sur l’ensemble d’une carrière, cette médaille est sans doute méritée. J’étais en forme durant cette quinzaine, et peut-être que Zagreb symbolise le mieux de c’est que j’ai pu faire.

Tu es la première capitaine française championne du monde. Ça reste une fierté ?

Non. Je n’ai jamais réfléchi ainsi. J’étais capitaine et c’était déjà une fierté. Je suis championne du monde, et c’est encore une fierté. L’avoir été avec le brassard, c’est juste un plus.

As-tu remarqué qu’il n’y a que lorsque la capitaine est une ailière que l’équipe de France remporte des titres ?

C’est parce qu’elle s’ennuie sur son petit espace qu’on lui confie des seconds rôles. Plus sérieusement, depuis l’aile, on voit mieux ce qu’il se passe sur un parquet. On est un peu à l’écart du jeu. On ne participe pas forcément beaucoup à sa construction. Je me souviens d’ailleurs qu’à l’époque où je jouais, j’aurais aimé participer plus, il me semble qu’il y avait d’autres voies à explorer. Pour en revenir au rôle, tu es dans ton coin, tu vois des choses que les autres ne voient pas forcément, tu as le temps de réfléchir, de voir évoluer tes coéquipières, saisir leurs émotions. Moi, j’ai toujours eu envie de jouer arrière, même si j’étais petite, venir tirer au-dessus des joueuses norvégiennes ou russes qui, les bras levés, mesurent 2,50 mètres. Je l’ai parfois tenté, et ça a parfois marché. Ailière, il y a aussi ce côté un peu ingrat, un peu rebelle. Physiquement, on s’entraîne fort, il faut courir, avoir un bon cardio, multiplier les départs anticipés en contre-attaque qui ne servent à rien trois fois sur quatre. Oui, c’est ça, il y a un côté frustrant dans le jeu d’ailière. C’est la loi du sport-co, mais tu sais que tu peux ne toucher aucun ballon pendant cinquante minutes et te retrouver avec celui du match entre les mains, avec ton épaule froide, toute la frustration accumulée, et que tu n’as, alors, pas droit à l’erreur.

On a tout dit ou écrit sur les sept dernières minutes de la finale face à la Hongrie. Y a-t-il quelque chose à rajouter ?

Beaucoup de choses ont été dites, c’est vrai. Moi, je me souviens de la condescendance des Hongroises et de leur entraîneur au moment du tirage au sort avant la prolongation. Ils gagnent en fait ce tirage mais nous laissent la balle alors que le carton rouge de Görbicz les oblige à débuter en infériorité numérique. Je me dis sur le coup qu’ils sont vraiment cons. Qu’ils ont oublié de réfléchir. En fait, ils tergiversent beaucoup à l’issue du tirage, au point que je quitte le rendez-vous sans même attendre le verdict. Ils se font des nœuds au cerveau. Ils ont tellement anticipé la victoire qu’ils n’arrivent plus à se projeter.

Te souviens-tu de l’élément déclencheur de cette rébellion ?

C’est drôle parce que chacune vit le moment différemment. Je me vois essayer de dire à Olivier (Krumbholz) qu’il faut anticiper, presser, subtiliser des balles, et lui me répondre qu’il ne s’agit pas d’un problème de défense mais d’efficacité en attaque. Et puis je change avec Estelle (Vogein), et je me revois camper au milieu du terrain en mode benjamine, comme si je m’apprêtais pour une défense tout terrain. Parfois, lorsque j’en rediscute avec les filles, elles ne s’en rappellent pas de tout. Ce qui est sûr, c’est que nous sommes toutes, alors, dans le même délire. J’ai l’impression que l’on a toutes déposé le cerveau, et activé en notre for intérieur une sorte d’instinct de survie.

Kielce est devenu champion d’Europe en 2016 en battant Veszprém après avoir été mené de neuf buts à treize minutes du terme. Ça veut dire que rien n’est jamais réellement fini en handball ?

C’est vrai que ça peut aller très vite, qu’un rapport de force peut vite s’inverser. 

Que penses-tu des premiers pas des Françaises au Mondial en Norvège ?

Il ne faut pas tirer de conclusions hâtives du match face à l’Angola. Ce sont deux cultures qui s’affrontent. On a toujours eu un peu de mal face à ce type de joueuses costaudes, présentes dans le défi physique. C’est la même chose pour la Norvège contre l’Espagne, quand ça ferme fort, parfois à trois joueuses. À l’époque, l’Ukraine butait contre nous presque systématiquement. Ce n’est pas totalement anormal, de surcroît, d’avoir des difficultés face à des équipes que l’on rencontre rarement. 

Les ailières sont à la fête depuis le début du Tournoi. Aurais-tu aimé jouer dans cette équipe ?

Certainement, la balle circule, on exploite plus facilement les extérieurs. Ça se rapproche un peu du jeu nordique avec des joueuses qui n’hésitent pas à exploiter l’espace externe. Je ne renie rien de ce que j’ai vécu, mais peut-être que j’aurais pu m’exprimer différemment dans ce type d’équipe de France. 

C’était 1000 km plus au Nord, mais te souviens-tu des premiers pas de l’équipe de France à Trondheim en 1999 ?

Bien sûr que je m’en souviens. Je n’avais pas du tout le même statut qu’en 2003. Quelques mois avant ce championnat du monde, je n’étais pas bien, ça ne se passait pas très bien avec Olivier. J’étais à deux doigts d’arrêter ma carrière en équipe de France. J’avais l’impression d’être prise en grippe, malmenée, je gérais mal mon stress qui plus est, c’était comme un cercle infernal avec Olivier. Je me demandais pourquoi je n’arrivais pas à m’exprimer en sélection alors que j’y parvenais en club, et l’issue me semblait naturelle, il me fallait prendre du recul. Sandrine (Delerce) était intervenue pour que je reste dans le collectif alors que je songeais à le quitter. Au-delà de la médaille dans un contexte tellement particulier, je pense que je suis née en équipe de France en 1999. Ça a été, pour moi, une bouffée d’oxygène bien au-delà du parcours et du scénario. Ma carrière a vraiment débuté là-bas, alors qu’elle aurait pu bifurquer dans un sens totalement inverse.

Ces images norvégiennes n’éveillent-elles d’ailleurs pas un peu de nostalgie ?

Non, je ne suis pas du tout nostalgique. Je ne sais pas comment le dire au risque de manquer d’humilité, mais j’adore regarder devant, je suis réellement passé à la suite. Je m’amuse dans mon quotidien, je vis des choses qui me passionnent, et même s’il nous arrive de balancer quelques vannes avec les copines à propos de cette époque, mon esprit est vraiment ailleurs.

Que deviens-tu, justement, aujourd’hui ? Participes-tu toujours à des courses longue distance ?

Je suis kiné depuis 2010 dans un petit cabinet sur Pessac, et je vis dans une petite maison un peu à la campagne, ce qui me permet de pouvoir courir dans les bois. Je fais toujours beaucoup de sport, oui. Je prends le départ de nombreux trails en montagne. J’ai participé à un 75 km l’été dernier dans les Pyrénées, une course de 15 heures avec tous mes amis et toute ma famille à l’arrivée. Je m’éclate. Je cours aussi des triathlons en guise de préparation. Je ne cherche ni les médailles, ni les temps, mais plutôt le plaisir de me mettre dans le rouge, c’est comme ça que je me sens vivante. Je pensais que mes vieux os et mes vieux genoux ne me permettraient pas de vivre ces émotions-là, mais j’ai rencontré une kiné qui manifestement n’était pas si mauvaise que ça… Je me suis auto-rééduquée, et je m’épanouis totalement aujourd’hui.

Quels sont tes futurs projets ?

J’irais bien me re-balader à la Réunion, du côté du cirque de Mafate, pour profiter de ce qu’il reste de beau dans ce monde. Plus simplement, je veux profiter de ma famille, inviter des amis à la maison, regarder avec eux les Jeux olympiques à la télévision du bord de la piscine. Des choses simples quoi…