une oasis dans le désert

L’équipe de France a remporté au Qatar le cinquième titre mondial de son histoire. Le couronnement d’une formidable montée en puissance tout au long de la compétition.

Dimanche 1er février, la cinquième étoile n’est pas encore brodée sur le maillot bleu mais les Français prennent déjà la mesure de leur nouvel exploit. Une heure plus tôt, le Qatar a rendu les armes face aux Indestructibles du sport français (25-22). Dans la zone d’interviews, une tête blonde se cache derrière les épais mollets de Jérôme Fernandez. C’est son fils, Kilian, arrivé le dimanche précédent à Doha avec une dispense de son école. « Je vous présente la relève du hand français », plaisante le capitaine, qui a fini en apothéose le dernier Championnat du monde de son immense carrière internationale démarrée en 1997. Puis il reprend son sérieux, pour dire son bonheur d’avoir accompagné ce nouveau titre, malgré un temps de jeu réduit. « Je ressens beaucoup de fierté car nous partageons le plaisir avec des joueurs plus jeunes, comme les anciens l’ont fait avec nous en 2001. C’est une chance de vivre ensemble des moments aussi rares. J’espère que ça ne s’arrêtera jamais. Cette équipe est toujours prête pour un nouveau défi, elle ne renonce jamais. » À titre individuel aussi, Fernandez est au sommet du handball mondial avec ses quatre titres mondiaux, un palmarès unique qu’il partage avec Thierry Omeyer, son ami et son camarade de chambre, logiquement désigné MVP de la compétition. « Nous lui devons énormément, dit Fernandez. Je suis fier d’entrer dans l’histoire avec lui. »

Les hommages au gardien se multiplient. Cyril Dumoulin, sa doublure, est resté sur le banc à partir des quarts de finale. Pas rancunier, il est l’un des premiers à tresser ses lauriers : « J’ai deux choses à lui dire : bravo et merci ! Il a encore fait du Thierry Omeyer. Face à lui, les tireurs adverses savent qu’ils devront tout donner pour mettre le ballon au fond puis rapidement, ils se rendent compte que c’est simplement impossible de le battre. Le moral de l’attaquant plonge parce que Titi croque son adversaire dans le duel. » Si l’équipe de France s’est montrée implacable en phase finale, Omeyer (38 ans) a tenu le premier rôle. Il a tourné à vingt parades par rencontre à partir des huitièmes de finale ! Seul Danijel Saric, le gardien bosnien du Qatar, s’est hissé à sa hauteur. Élu meilleur handballeur de l’année 2008, Omeyer sera l’un des favoris pour obtenir une seconde récompense. Dans les entrailles du Lusail Multipurpose Hall, pendant que la chanteuse australienne Kylie Minogue amuse les 15.000 spectateurs, l’ancien international allemand Stefan Kretzschmar, un ancien rival des terrains de Bundesliga, s’approche pour donner une accolade amicale à Omeyer.

Dans la bouche des Experts revient la notion de soulagement. Le Qatar a donné du fil à retorde en deuxième période, effaçant trois buts de retard pour revenir à -1. « L’équipe de France a tremblé, reconnait l’ailier droit Valentin Porte, qui a brillamment relevé Luc Abalo, forfait pour la compétition mais présent pour soutenir ses copains le dernier week-end. On s’est mis en danger sur pas mal de choses. Heureusement que l’expérience a fini par faire la différence. N’empêche, on a vraiment eu peur. » De façon assez paradoxale, c’est peut-être ce sentiment qui a permis aux tricolores d’éviter la panique. Quelques jours plus tôt, Claude Onesta faisait cette analyse : « Cette équipe a du mal à avoir réellement peur. On peut décréter la mobilisation générale, si la vie ou la mort ne sont pas au rendez-vous, elle aura toujours le sentiment que le coup est rattrapable le lendemain. » C’est pourquoi elle est si redoutable dès que l’on se rapproche des matches à élimination directe. « Contre nous, il n’y a rien à faire », lâchait Jérôme Fernandez.

Quarante-huit heures plus tôt, l’Espagne avait subi la loi française dans une finale avant la lettre (26-22). Le champion du monde 2013, premier rival de très haut niveau pour les Bleus, a dû se résigner face à la détermination des partenaires de Nikola Karabatic et Cédric Sorhaindo, bourreaux de leurs amis du FC Barcelone. Un match décisif où Claude Onesta a réduit au minimum le nombre de rotations, pas rassuré par le rendement inégal des remplaçants lors des rencontres précédentes. Évidemment, lorsque l’on peut compter sur ses vedettes à plein régime, il y a moins de scrupules à distribuer le temps de jeu avec parcimonie. Ce soir-là, par exemple, Daniel Narcisse a prouvé qu’il s’était remis des pépins physiques qui l’avaient privé des premiers matches du Mondial. Un retour au premier plan bienvenu le soir où Mathieu Grébille, enfin lancé, a été victime d’une luxation acromio-claviulaire dans un choc avec Chema Rodriguez. Le Montpelliérain regardera la finale depuis les tribunes, le bras en écharpe.

C’est Samuel Honrubia qui le suppléera sur la feuille de match de la finale. S’il n’aura pas joué une seule minute de la compétition, son état d’esprit en dit long. Claude Onesta a remarqué l’implication de l’ailier parisien, assez semblable à celle de William Accambray lors des Jeux olympiques de Londres : « L’état d’esprit de Sami [Honrubia] est exemplaire. Il sera en meilleur état à la fin de l’aventure qu’au début. » Cela n’empêche pas la frustration, à chaque match observé depuis la tribune, mais le degré d’investissement du dix-septième homme a rendu chaque des seize autres un peu plus fort.

Le huitième de finale contre l’Argentine (33-20) puis le quart face à la Slovénie (32-23) se sont ressemblé. Grâce à une défense dissuasive, ces deux adversaires se sont résignés au bout d’une dizaine de minutes seulement. Du travail bien fait. « Nous faisons les choses avec détermination et régularité. Et dès qu’un rendez-vous est terminé, on se focalise sur le suivant », analyse Cédric Sorhaindo, injustement écarté de l’équipe-type du Mondial.

Pour remporter une médaille d’or, de nombreux sacrifices sont nécessaires. « On s’est réuni pour le début de la préparation à Capbreton le 26 décembre. C’est hyper rude physiquement et moralement », insiste Xavier Barachet, l’un des plus touchés par cette vie en vase clos puisque son fils est né il y a quelques semaines. Et pourtant, il ajoute : « Je n’ai qu’une envie : repartir un mois de plus tous ensemble ! Parce que l’équipe de France, ce sont des mecs qui ont toujours les pieds sur terre et ne se croient jamais au-dessus des autres. »

Ce groupe n’est ni une colonie de vacances ni un cercle d’amis. Certains ont des affinités, d’autres pas. Quelques-uns ont des états d’âme mais la performance collective est l’unique objectif. L’exemple de Kevynn Nyokas est parlant : avant d’être titularisé en finale, l’arrière de Göppingen n’avait eu que des miettes à se mettre sous la dent. Mais au lieu de râler, il a redoublé d’efforts pour se transformer en joueur-clé du match le plus important de la quinzaine, auteur de 3 buts. « Il n’y a pas de bonne raison qui explique mon faible de temps de jeu. Mais l’une des qualités principales d’une grande équipe, c’est la force de son banc. J’ai donc bossé dur car lorsque tu es bon à chaque entraînement, comme moi, tu es prêt à rentrer. » Et son heure est venue.

Quelques heures avant de reprendre l’avion pour Paris et de communier avec ses nombreux supporters, l’équipe de France a savouré son cinquième titre mondial dans l’intimité de l’ambassade de France à Doha. Un lieu solennel pour des sportifs rares : la France est désormais seule en tête au palmarès des Championnats du monde, avec un titre de plus que la Roumanie et la Suède (5 contre 4). Dans deux ans, l’occasion sera belle d’en accrocher un de plus à domicile. Mais entre-temps, il y a les Jeux Olympiques à Rio, où la France rêve de conquérir une troisième médaille d’or consécutive. Du haut de ses 24 ans, qui lui offrent une bonne perspective d’avenir, Valentin Porte savoure : « Après la finale, on s’est dit dans le vestiaire : C’est vrai tiens, on va au Brésil ! C’est génial. Les bagages sont prêts. » Copacabana sera un bel endroit pour faire résonner une fois de plus ce refrain de vainqueurs dont on ne se lasse jamais : « On vient, on gagne et on s’en va. »

À l’inverse de l’Euro au Danemark, le premier tour a été poussif. L’Islande, repêchée de dernière minute, a fait passer un frisson dans le dos de Claude Onesta (26-26), soulignant à la fois que le jeu n’était pas encore en place et que l’adversité du premier tour était relative. Ses trois premières victoires – contre la République tchèque (30-27), l’Egypte (28-24), l’Algérie (32-26) – ne resteront pas dans les annales mais les scores serrés ont eu le mérite d’éveiller les sens. Claude Onesta a sonné l’alarme : « Vu notre irrégularité, on ne peut prendre personne par-dessus la jambe. » C’est au dernier match du premier tour que s’est produit le déclic. La Suède a fait la course en tête toute la rencontre, profitant d’une entame catastrophique (0-4). Mais dans les cinq dernières minutes, les Experts ont retourné la situation avec beaucoup de sang-froid (27-25). D’une certaine façon, l’acte de naissance des champions du monde 2015. « Comme souvent, nous sommes montés en puissance », rembobine Thierry Omeyer.

Arrivé à maturité, le pivot de l’équipe de France a réalisé au Qatar sa meilleure compétition sous le maillot de l’équipe de France.

En rentrant à Barcelone, Cédric Sorhaindo a sans doute reçu un accueil mitigé de ses partenaires. Parce qu’il a éliminé plusieurs Espagnols en demi-finale (Gonzalo Perez de Vargas, Raul Entrerrios, Victor Tomas, Viran Morros) avant de briser le rêve d’un autre, Danijel Saric, le gardien bosnien du Qatar, en finale. Il y a deux ans, c’est lui qui était rentré tête basse dans son club après le sacre à domicile de l’Espagne. Il tient une revanche éclatante.

Au premier tour, Sorhaindo (30 ans) a été le meilleur français, pilier de la défense aux côtés des frères Karabatic et d’une précision diabolique à l’autre bout du terrain. « Cédric n’a peut-être jamais été aussi performant sous le maillot de l’équipe de France, en défense comme en attaque, sur toute la durée d’un match, admire Claude Onesta. Lors des compétitions précédentes, il a souvent pioché physiquement. Là, il a été vraiment en confiance, déterminant face à tous les styles de défense. Offensivement, il tire totalement profit de sa puissance. La qualité de sa préparation et la fraîcheur qu’autorise le championnat d’Espagne ont été des clés pour disputer sa meilleure compétition avec nous. »

Au Qatar, la question de la retraite internationale de Bertrand Gille a été posée au manager français. Il est vrai que le Chambérien n’a jamais fait d’annonce. Mais l’interrogation semble anachronique tant le Martiniquais semble installé dans le sept français. On ne réalise pas que Sorhaindo fait partie des Experts depuis dix ans et qu’il a largement participé à la moisson réalisée depuis 2009 : trois médailles d’or mondiales, deux titres européens et bien sûr, la double couronne olympique, qui ne demande qu’à devenir triple à Rio.

Son adresse et sa détermination ont tellement impressionné que son absence de l’équipe-type du Mondial, aux côtés du MVP Thierry Omeyer et de Nikola Karabatic, semble parfaitement injuste, même si l’élu à son poste, le Polonais Bartosz Jurecki, a été performant dans la conquête de la médaille de bronze de son équipe.

Qu’importe, il n’y a plus grand-chose pour troubler la sérénité de cette boule de nerfs aux faux airs de panda. « Pendant des années, lorsque je me prenais la tête à l’entraînement, les soucis me suivaient à la maison. Les responsabilités et la confiance de mes entraîneurs ont généré des doutes chez moi. » Parfois, il replonge dans ses états d’âme, après la demi-finale par exemple, où son échec au tir lui a fait dire : « Dès que je fatigue, je retombe dans un jeu stéréotypé. » Peu de joueurs sont capables d’une telle remise en question. Elle a été utile puisque Sorhaindo s’est relevé en finale.  Son secret ? « La naissance de ma fille il y a neuf mois, confie-t-il dans un large sourire. Elle m’aide à voir les choses sous un angle nouveau. La paternité, ça revient à faire un vrai travail sur soi-même. » L’équipe de France n’a pas à s’en plaindre.

résultats

Tour Préliminaire : France – République tchèque : 30-27 / Égypte – France : 24-28 / France – Islande : 26-26 / Algérie – France : 26-32 / France – Suède : 27-25
Huitième de finale : France – Argentine : 33-20
Quarts de finale : France – Slovénie : 32-23
Demi-finales
 : Espagne – France : 22-26 / Pologne – Qatar : 29-31
Places 3-4 : Pologne – Espagne : 29-28
Finale : Qatar – France : 22-25